SYSTÈME D

ECORENOVATION – Interview

Une rénovation réussie ne se remarque pas

Partout en France, des hommes de l’art rénovent et restaurent aussi bien du petit patrimoine que des bâtiments somptueux. Nous avons rencontré l’un d’entre eux, Serge Gautier, dont le leitmotiv est de réemployer sans cesse les matériaux de récupération.

Passionné de matériaux anciens, votre spécialité est de faire du neuf avec de l’ancien. Comment faites-vous ?

La formule est un raccourci, car nos maisons mixent le plus souvent des techniques modernes pour la structure et des matériaux plus anciens pour les parties visibles. Nous construisons généralement en parpaings, plutôt qu’en brique creuse. D’abord, parce que son impact écologique est moindre (il n’y a pas de cuisson) et, surtout, parce que les murs sont plus homogènes au niveau des joints. Nous privilégions des matériaux anciens comme la pierre, la terre cuite et les différentes déclinaisons du bois : charpentes, parquets, escaliers… Il est très important de destiner ces matériaux à un usage identique à celui pour lequel ils ont été conçus. Toutes les pierres ne sont en effet pas compatibles avec un usage extérieur ; il en est de même pour les essences de bois et les terres cuites. Plus largement, hormis en couverture, les matériaux anciens que nous sélectionnons n’interviennent pas dans l’étanchéité et la résistance mécanique de l’ouvrage.

Justement, comment apporter une garantie décennale à une toiture composée de tuiles anciennes ?

Elle est d’abord apportée par l’entreprise de couverture. Ensuite, nous avons pris l’habitude de nous fournir en tuiles anciennes dans le Jura. Il y a deux raisons à cela : dans  cette région, les maisons traditionnelles disposent de grandes toitures, ce qui offre une disponibilité de tuiles assez régulière. Ensuite, le Jura se distingue par un climat rude en hiver et chaud en été. De ce fait, des tuiles qui ont supporté ces conditions et traversé des décennies sans dommage ont démontré leur fiabilité dans la durée. De plus, pendant le chantier, le couvreur vérifie les tuiles avant de les poser. Enfin, il arrive parfois, lorsque la pente est trop réduite, que l’on retienne la technique de la couverture double : les tuiles se limitent alors à un rôle décoratif.

Qu’en est-il des différentes essences de bois utilisées dans vos réalisations ?

Les bois anciens sont issus en priorité d’éléments de charpente, de planchers et de pans de bois. En construction neuve, nous utilisons rarement les poutraisons comme structure de planchers. Elles sont purement décoratives – la pose d’un plancher béton permettant de répondre sans surprise aux charges d’exploitation prévues, avec l’atout important d’une isolation acoustique correcte, ce que permettent rarement les planchers en bois simples. En revanche, lorsque c’est techniquement possible, nous réutilisons les éléments de charpente dans leur fonction d’origine. Il en est de même pour les pans de bois, lorsque le projet prévoit de les laisser apparents. Pour ces derniers se pose la question de la finition. Dans la plupart des cas, le plus simple serait de les laisser à l’état brut. Le problème est que les bois laissés bruts prennent une teinte grise avec le temps, ce qui ne plaît pas forcément. Une solution consiste à les lasurer, sachant que cette opération doit être renouvelée assez régulièrement, surtout sur les façades exposées au sud et à l’ouest.

Peut-on faire une comparaison réaliste des coûts entre neuf et récupération ?

Nous pouvons effectivement comparer les coûts, du moins pour une construction neuve ou une extension. En rénovation, chaque cas est trop particulier pour pouvoir établir des ratios. Hors peintures intérieures, mais toutes finitions comprises, la moyenne est de 2 000 €/m2, pour des prestations que l’on peut qualifier de « haut de gamme », tant au niveau de l’enveloppe extérieure (murs, couverture, menuiseries…) que des aménagements intérieurs (tomettes et/ou pierres au sol, portes en bois massif, escaliers en pierre, poutres, etc.). Ces prix intègrent également l’installation de chauffage. Nous privilégions le chauffage par le sol, électrique ou à eau chaude. Pour l’isolation, nous retenons couramment la laine de verre, mais d’autres matériaux sont possibles en fonction de la demande du client. Concernant le budget pour l’achat des matériaux anciens, quelques exemples montrent que les prix pratiqués restent réalistes : la tuile plate s’achète 50 centimes, soit environ 35 €/m2, le bois entre 350 et 400 €/m3, le parquet en chêne entre 50 et 70 €/m2.

Est-il plus simple de construire une maison neuve ou de se lancer dans une rénovation ?

Une opération de rénovation doit être abordée de façon globale. Quelles que soient les connaissances techniques que l’on possède et ce que l’on prévoit de faire soi-même, il ne faut pas hésiter à s’adjoindre l’avis d’un professionnel, qui donnera un point de vue rationnel et dépassionné. Pour commencer, il est important de définir ce que l’on peut raisonnablement conserver, ce qui doit être remplacé et les prestations possibles, le tout, en fonction d’une enveloppe budgétaire qui aura été préalablement définie. Viennent ensuite les incontournables, comme la réfection complète de l’installation électrique. Ce n’est pas le poste le plus coûteux, mais ce point est indispensable, notamment pour obtenir l’agrément du Consuel, et l’ouverture de la ligne.

Quels sont les pièges à éviter en matière de rénovation ?

Surtout, ne pas chercher à transformer une maison ancienne en maison neuve. Par exemple, il est inutile de corriger à tout prix les déformations, sauf si les murs s’ouvrent ou en cas de désordres flagrants au niveau des fondations. Il faut aussi laisser respirer les murs anciens : privilégier les enduits à la chaux, bannir les imperméabilités de façade, les doublages intérieurs collés, vérifier, diagnostiquer et traiter les éventuelles traces d’humidité… En fait, tout ce qui est susceptible de dégrader l’équilibre de matériaux qui ont su traverser les années sans véritable problème. Le raisonnement est valable aussi pour l’isolation. Il est logique de profiter d’une rénovation pour optimiser l’isolation, mais là encore, un bâti ancien ne fonctionne pas comme le bâti d’une maison neuve. Par exemple, on peut se poser la question de l’utilité d’ajouter des isolants sur des murs épais. De nombreuses expériences montrent que les consommations d’énergie peuvent être limitées, quand la toiture est bien isolée et que les menuiseries sont de qualité thermique suffisante.

Selon vous, quel est le secret d’une rénovation réussie ?

Lorsque l’on achète une maison ancienne, c’est rarement par hasard. Il faut conserver les détails qui en font la personnalité et éviter de surcharger. Une rénovation de qualité ne doit pas se remarquer : les éléments rajoutés doivent donner l’impression d’avoir toujours été là.


Article publié dans le Magazine Système D – Juin 2016